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Rencontre avec une pionnière : Sylviane AUGE PETIT, diplômée de la promotion FI 128 (1980)
En 1980, alors que peu de femmes fréquentaient encore les écoles d’ingénieurs, Sylviane AUGE PETIT faisait déjà figure de pionnière. Diplômée d’IMT Mines Alès, elle a mené une brillante carrière durant laquelle elle a successivement occupé des postes à responsabilités, dans des domaines techniques, scientifiques et stratégiques.
Avec détermination et engagement, elle a su combiner vie professionnelle exigeante et vie personnelle épanouie.
Engagée, passionnée et résolument tournée vers l’innovation, elle revient pour nous sur son parcours, les choix qui ont façonné sa trajectoire, et les conseils qu’elle souhaite transmettre aux jeunes générations.
Votre parcours et votre formation
• Pouvez-vous nous raconter ce qui vous a poussé à vous orienter vers une école d’ingénieur, et en particulier vers les Mines d’Alès ?
Dès le choix en fin de 3ème, j’ai demandé, contre avis parental, à m’orienter en 2deT pour passer un bac E, (Math technique, épreuves du bac C (scientifique) plus atelier, mécanique et techno). Plus tard, en terminale E, ayant 1 an d’avance, bien que pas tout à fait le niveau (dixit conseil de classe) pour la prépa technique, j’ai pu intégrer une prépa aux concours d’écoles d’ingénieurs techniques (surtout Arts et Métiers) et Normales Sup Techniques.
Pas vraiment envie d’être prof, ni de ne faire surtout que des calculs de structures, j’ai insisté pour présenter le concours des Mines d’Alès (en 1974 la 1ère fois).
• Vous avez passé plusieurs fois le concours avant d’être admise. Qu’est-ce qui vous a motivée à persévérer malgré les obstacles ?
J’ai bien sûr largement échoué à tous les concours, en 1974, en liste d’attente en 1975, et intégrée 13ème (sur ~3000) en 1976. J’ai persévéré pour les raisons du point précédent, mais aussi parce que je m’étais documentée sur l’école, alors généraliste en 4 ans, avec un large éventail de débouchés qui m’intéressaient. Je sentais que je serai assez facilement au bon niveau pour cette école. Et, peut-être quelque part aussi, parce qu’on avait essayé de m’en dissuader.
• Comment décririez vous votre expérience en tant qu’étudiante à l’École des Mines d’Alès dans les années 70-80 ?
Contrairement à ce qu’on m’avait annoncé lors d’une épreuve de concours, pas de discrimination ressentie au sein de l’école, ni par les copains, ni par les profs ; en 1976, les filles nous avions même les privilèges des 4ème année en étant logées, comme eux, à Rochebelle au lieu de l’internat.

• Avez-vous ressenti une différence de traitement en tant que femme au sein de l’école ?
Au sein de l’école, j’ai mal vécu, mais c’est plutôt anecdotique, que l’on m’oblige à faire des compétitions de volley, puisque 5 filles étaient présentes sur site pour monter une équipe.
Heureusement, d’autres filles sont arrivées et j’ai pu me consacrer aux rencontres ASSU et sorties ski, planche à voile et dériveur.
Pas de différence, par les profs lors des sorties de terrain, en particulier pour la semaine « géotechnique routière » au fin fond de l’Ardèche où nous dormions sous les tentes répartis par groupe de travail où nous avions nos échantillons, nos notes et tout le reste.
Les défis rencontrés et la place des femmes dans l’ingénierie
• Vous avez mentionné des remarques décourageantes de certains professeurs ou encadrants. Comment avez-vous réussi à dépasser ces moments ?
Comme indiqué ci-dessus et lors de notre entrevue, une personne surveillant les épreuves du concours m’avait parlé pendant que je bossais, pour essayer de me convaincre de ne pas aller dans cette école, trop « dure » pour les filles. J’ai appris ensuite que c’était le documentaliste, conjoint de notre prof de français, qui observaient tout deux les gros problèmes d’intégration dans sa promo, de la 1ère fille de l’école, sortie en 1975. Comment j’ai dépassé ce moment ? En n’en tenant pas compte. J’avais été seule fille (ou très peu nombreuses) au lycée de la 4ème jusqu’en terminale et en classes prépas. J’avais dû affronter en 1ère un prof de méca / dessin industriel et un très jeune prof de math en prépa qui m’en faisaient baver, par leurs remarques plus discriminatoires que sexistes, du style « ce n’est pas la place d’une fille dans cette filière », « vous n’y arriverez pas » etc...
• Quelle était la perception des femmes ingénieures à l’époque, notamment de la part de vos camarades masculins et des enseignants ?
Tout d’abord une remarque sur un sujet qui pour moi est très mal perçu.
Je n’aime pas du tout la féminisation des titres et diplômes ; nous avons dû nous battre pour aller dans ces filières ; nous avons eu le même diplôme garçon ou fille et fais(i)ons le même travail que nous soyons homme ou femme. Est-ce qu’une ingénieur en chef de sexe féminin exerce un autre job qu’un ingénieur en chef masculin ? Non, bien sûr, alors pourquoi cette distinction dans le libellé d’un poste ou d’un diplôme ? Je suis une ingénieur des Mines d’Alès ; c’est devenu une ingénieure aujourd’hui ; est-ce qu’elle n’a pas le même diplôme ?
Pourquoi vouloir connaitre le sexe de la personne et pas seulement sa compétence ; c’est cela qui pour moi est de l’antiféminisme. Je reste une féministe des année 70, « à compétences égales récompenses égales ».
Pour ma part, je n’ai pas vraiment ressenti de différences, peut-être parce qu’avec une autre camarade de promo, nous étions très intégrées dans un groupe de copains très soudés. Il y avait plus de ségrégations marquées selon le milieu d’origine.
« Je suis une ingénieur des Mines d’Alès. Pourquoi vouloir connaître le sexe de la personne et pas seulement sa compétence ? »
• Votre stage initialement prévu en travaux miniers vous a été refusé en raison de votre genre. Comment avez-vous vécu cet épisode ?
Il s’agissait de mon stage de fin de 2ème année, en tant que « chef de chantier ». Je l’ai fait dans une société de minages à l’air libre ; mon affectation devait être au sein de cette société, sans contact avec les mineurs de fond, dans le creusement d’une descenderie pour un nouveau puits dans les mines de Gardanne. Ceux sont les syndicats de mineurs des HCBM, qui ont refusé qu’une femme descende travailler dans la mine, même si c’était un boulot de Travaux Publics, sans aucune interférence avec les mineurs de fond (sites distincts).
Je l’ai très mal vécu d’autant que cela a retardé le début de mon stage de quelques jours et a rendu le Directeur de Travaux de très mauvaise humeur envers moi durant mes 4 mois de stage. Heureusement pour moi, le Directeur et les Directeurs Adjoints étaient des anciens de l'Ecole des Mines d’Alès, et au final j’ai fait un stage très formateur en minage à l’air libre sur chantier autoroutier, puis en centre-ville d’Arles avec un super conducteur de travaux !
• Avez-vous eu des mentors ou des soutiens particuliers durant vos études ou au début de votre carrière ?
Pas de mentor à l’école, mais un soutien des parents pour la carrière que j’avais choisie et la chance d’avoir des contacts hors école, avec des entreprises locales de TP dans lesquelles j’ai pu faire mes stages ouvrier (7 mois) et chef de chantier (4 mois).
Dans mon 1er emploi, j’ai été formée par un géomètre très « bougon » au début, mais très instructif et attentionné ensuite ; je ne marcherai pas sur ses plate bandes puisque nous étions sur des agences différentes.
Pour mon 2ème employeur en bureau d’étude, cela a été plus compliqué pour moi, qui ait dû avoir 6 entretiens d’embauche (au lieu des 2 habituels), des questions insidieuses sur la maman de 32 ans que j’étais, vis-à-vis de mon métier et la mise à l’écart par les collègues, surtout les secrétaires, pendant 6 mois. Heureusement quelques collègues m’ont aidée en me fournissant les directives essentielles pour utiliser les guides techniques et logiciels qui avaient évolués durant les quelques années où j’avais enseigné les maths.
A l’inverse, je n’ai toujours pas digéré que l’on m’ait imposé en 4ème année d’aller en option « pollution et nuisances industrielles » et le stage associé chez AZF (ex AZP de Toulouse) pour qu’il y ait au moins une fille, alors que mon choix de carrière était déjà dans la « routes et carrières »
Votre carrière et vos expériences professionnelles
• Vous avez travaillé 30 ans dans un bureau d’études en génie civil et infrastructures. Pouvez-vous nous parler de votre rôle et des projets marquants sur lesquels vous avez travaillé ?
Mon rôle a été, à plusieurs niveaux de responsabilité au long de ma carrière. Dans ce 2ème bureau d’études, il a été celui que j’aime appeler « projeteur routier », plutôt qu’expert en tracé routier. Un projeteur routier n’est pas la personne qui fait « tourner » un logiciel de route, mais celui qui conçoit le tracé avec toutes les contraintes géotechniques, environnementales, hydraulique, etc..., en s’appuyant sur les spécialistes. Il faut pouvoir, sur site, pré-choisir la bande de terrain la plus favorable (ou la moins défavorable) de faisabilité du futur ouvrage.
Il s’agit d’un bureau d’étude spécialisé alors, en infrastructures linéaires (routes, autoroutes, pistes en Afrique, voies navigables, lignes ferroviaires et LGV) depuis la recherche de tracés, à la surveillance de travaux avec passation des marchés.
Mon plus beau projet consistait en la recherche du meilleur tracé (avec le moins de tunnels et viaducs possibles) pour une autoroute de montagne sur 120 kms entre de deux villes de Corée du Sud. Sous la direction d’un ingénieur des Ponts, notre équipe multidisciplinaire de géologue géotechnicien, ingénieur OA, expert tunnel et moi-même « projeteur » routier. Nous avons, en 4 semaines (dont 2 sur site en montagne par -25°), fourni un avant-projet chiffré à notre client.
Cela a été une expérience excessivement marquante par son implantation en Corée du Sud, par le challenge qu’il fallait relever avec des normes Corréennes dans un milieu climatique « hostile ».

Repas de travail en Corée du Sud

En Corée du Sud, sur le terrain
Un autre projet important bien plus proche de nous a été la participation à la conception de portion du tracé de l’Autoroute de La Maurienne (A43), un échangeur, une section entre deux versants très proches, avec une voie ferrée internationale, une route nationale, une rivière très tumultueuse et des glissements de terrain potentiels, la recherche d’implantation d’aires de repos et de stockage de poids lourds en cas d’épisodes neigeux. Mon rôle d’ingénieur tracé était le même (projeteur routier), équipe mais avec toutes les étapes sur une période de
plusieurs années.
Dans mon 1er Bureau d’étude, j’étais très fière d’avoir conçu et implanté une déviation de 5 petits kms, mais sur laquelle j’ai pu rouler en quittant la région.
En fin de carrière j’ai participé à la conception puis au contrôle des travaux et gestion des équipes sur place, pour l’autoroute de Dakar au Sénégal.

Avec les architectes et chefs de mission à Dakar
Mission très valorisante, mais très consommatrice de temps.



Sur le chantier de l'autoroute à Dakar, en 2015
• Vous avez effectué de nombreuses missions en Afrique. Comment se passait votre intégration dans ces environnements professionnels ?
Mes interlocuteurs, que ce soit en Afrique ou en Haïti, passé le moment de surprise quand leur interlocuteur habituel de ma boîte me présentait, et puis me laissait la place, ont quasiment toujours été très respectueux devant mes compétences d’autant qu’une des missions dans les contrats des bailleurs de Fond internationaux comprenaient toujours une tâche de « formation des ingénieurs homologues » de l’Administration du pays. Je n’ai jamais été remise en cause dans mes propos.



En 1996, à Haïti

Groupe SETEC en 1997

Ministère des TP au Bénin en 1998

Visite du chantier du Viaduc de Millau
• Vous mentionnez que les seuls obstacles rencontrés venaient parfois d’autres femmes au sein du bureau d’études. Pourquoi, selon vous ?
Une fois la glace rompue, elles n’ont jamais bien pu m’expliquer pourquoi. Peut-être la peur de se sentir dévalorisée par une attitude que je n’ai jamais eu vis-à-vis d’elles ; ou qu’elles ne soient plus les « préférées » des hommes de la boîte ; heureusement cela n’a pas duré.
• Pensez-vous que les mentalités ont évolué aujourd’hui dans le secteur de l’ingénierie et du BTP ?
Je pense que c’est le cas dans le secteur privé, sous réserve que l’on ne définisse pas un jour que les tâches des femmes ingénieurs sont différentes de celles des hommes, puisqu’on féminise les noms des postes. Que fait une ingénieure en cheffe ? J’y reviens, mais pour moi c’est un pas en arrière.
Dans le public j’ai malheureusement croisé plusieurs ingénieur TPE (seule école d’ingénieur travaux public où le pourcentage des femmes est supérieur à 50%), qui par leur attitude, retard en réunion de chantier (11h au lieu de 9h) pour amener les enfants au sport, non implication (par incompétence ?) départ de réunion de chantier à 16h pour aller chercher ces mêmes enfants. J’ai eu honte qu’une femme ingénieur, responsable du projet pour l’Administration, donne cette image. Ce n’est pas un cas unique.
Votre regard sur l’avenir et vos conseils
• Quel conseil donneriez-vous aux jeunes femmes qui souhaitent se lancer dans une carrière dans l’ingénierie ou le bâtiment ?
Il faut être consciente que nous devons en faire un peu plus que les hommes pour avoir la même reconnaissance.
Il faut se durcir vis-à-vis de remarques sexistes, je suppose toujours de mise dans le BTP. Si l’on a passé le cap des prépas on est bien préparée à travailler dans un monde dit « masculin ».
Je pense que l’on nous reprochera toujours d’avoir des arrêts maternité alors qu’un homme qui, quant à lui, prend le congé parental au 3ème enfant est super bien vu.
Ma fille est sortie des Arts et Métiers en 2003 ; elle travaille à son compte dans la rénovation de maison. On la regarde toujours avec de grands yeux et un air narquois quand elle va acheter du matériel.
• Pensez-vous que les écoles d’ingénieurs font assez aujourd’hui pour encourager la mixité et l’égalité des chances ?
Je ne sais pas. Apparemment dans les écoles d’ingénieurs « techniques », le pourcentage n’augmente pas beaucoup. C’est dès le collège et le lycée qu’il faudrait inculquer que ce n’est pas une tare d’aimer et d’être bon en maths, ni plus tard de savoir changer une roue.
• Si vous aviez l’opportunité de parler à la jeune femme que vous étiez à 20 ans, que lui diriez-vous ?
Continue à te battre pour tes choix d’études et de carrière, même si ton compagnon, à 3 mois du diplôme, te demande de tout arrêter. Et, n’aie pas de remord comme moi j’en ai eus.
• Quel message aimeriez-vous faire passer aux étudiantes et diplômées d’aujourd’hui qui hésitent à poursuivre une carrière dans des milieux traditionnellement masculins ?
C’est leur choix profond qui compte. Attention, pas d’excès inverse ; j’ai croisé dans ma carrière une jeune ingénieur des ponts (ou ESTP), qui avait fait ces études pour reprendre la boîte de TP de son père. Ce n’est pas mieux si on veut étudier l’histoire de l’Art.
Pour conclure
• Y a-t-il une anecdote ou un souvenir en particulier que vous aimeriez partager avec nous ?
Il se trouve que j’étais dans une des 4 promos présentes lors de la « grève » de 1977. Nous étions tous majeurs (quasiment), certains mariés et indépendants financièrement, et des courriers ont été envoyés aux parents pour qu’ils nous incitent (imposent) de retourner en cours.
L’autre anecdote est l’intitulé de mon diplôme au nom de « Monsieur mademoiselle Rique (née Augé) ».
Pourquoi perdons-nous toujours notre nom de jeune fille en nous mariant, même pour l’amicale ?
• Avez-vous un modèle féminin qui vous a inspirée au cours de votre carrière ?
Non pas vraiment dans la profession ; il n’y en avait pas, à part en droit et en politique, comme Gisèle Halimi ou Simone Veil. J’ai pu croiser plus tard dans ma vie, des femmes « précurseurs » dans le milieu médical, et qui avait abandonné leur métier dans lequel elles étaient brillantes, une fois mariée.
• Que retenez-vous de votre parcours et de votre expérience en tant que femme ingénieur ?
Un gain énorme de confiance en moi dans mes domaines de compétences professionnelles ou sportives, et du coup, une meilleure assurance et maîtrise dans la vie de tous les jours.
Sylviane AUGE PETIT incarne une carrière exemplaire, marquée par la rigueur, l’adaptabilité et l’engagement au service de l’intérêt général. Son regard lucide sur les évolutions du métier d’ingénieur et ses conseils empreints de bienveillance et d’expérience témoignent de son attachement profond à la transmission.
Elle est aussi la preuve vivante que les femmes ont toute leur place dans les plus hautes sphères scientifiques et techniques. Un modèle inspirant pour les élèves ingénieurs d’aujourd’hui et de demain.
Nous la remercions chaleureusement d’avoir accepté de répondre à nos questions et de partager avec autant de sincérité et de générosité son parcours avec le réseau IMT Mines Alès Alumni.
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